L’avocat Baby Hady Thiam, associé gérant du cabinet Thiam & Associés, basé à Conakry, a remporté le prix de l’avocat d’affaires de l’année à l’occasion de la cérémonie annuelle des Financial Afrik Awards, organisée à Nouakchott, en Mauritanie, les 16 et 17 décembre 2021. À cette occasion, il revient sur son parcours et sa vision du secteur privé africain.
Pouvez-vous revenir sur les éléments clés de votre parcours ?
Inscrit auprès des Barreaux de Guinée et de Paris, j’ai commencé ma carrière en tant qu’avocat collaborateur au sein du bureau parisien du cabinet Gide Loyrette Nouel pendant quatre années avant de rejoindre le cabinet américain Dechert LLP, également à Paris. L’appel du pays étant le plus fort, en 2017, j’ai décidé de rentrer en Guinée afin d’y ouvrir mon cabinet, Thiam & Associés. Très rapidement, nous avons commencé à intervenir sur de très nombreuses transactions multi-juridictionnelles et plus particulièrement dans les juridictions africaines.
En guise d’exemple, nous avons travaillé avec de grands groupes internationaux et africains dans le secteur des ressources naturelles, à l’instar du pool bancaire constitué entre autres de l’International Finance Corporation, de la Development Finance Corporation, Natixis London Branch, Société Générale London Branch, Crédit Agricole Corporate and Investment Bank, BNP Paribas, ING, dans le cadre d’un financement syndiqué de 823 millions USD en faveur de la Compagnie des Bauxites de Guinée, de Rio Tinto sur le projet Simandou et de High Power Exploration sur le projet Nimba.
En outre, nous avons structuré des transactions transfrontalières au niveau régional. C’est ainsi que le cabinet a conseillé le groupe Vista Bank dans le cadre des acquisitions des filiales du groupe BNP Paribas au Burkina Faso et en Guinée. Nous avons aussi accompagné un syndicat bancaire constitué notamment d’Ecobank Development Corporation, d’Orabank et de NSIA Banque dans le cadre du financement pour la construction du marché d’Abomey Calavi dans la région du Grand Nokoué, au Bénin, pour un montant d’environ 225 millions USD. Plus récemment, toujours au Bénin, nous avons conseillé Oryx Énergies dans le cadre de l’acquisition de 63 stations-service.
Vous avez été distingué par le magazine Financial Afrik comme le meilleur avocat d’affaires de l’année en Afrique. Que signifie cette récompense pour vous ?
C’est pour moi une grande fierté d’avoir été d’abord nominé, puis d’avoir gagné. Cela démontre qu’il est possible pour les Africains de jouer dans la cour des grands, au même niveau que les cabinets occidentaux. Même si cela est une récompense individuelle, je considère que c’est une consécration pour le cabinet et le professionnalisme de nos équipes. C’est notre expertise africaine qui a été reconnue. Cette récompense signifie, aussi, que nos clients sont satisfaits de la qualité de nos prestations, et à dire vrai, c’est ce qui compte davantage pour nous.
Quels sont les principaux défis aujourd’hui pour le développement économique de la Guinée ?
Sans aucune hésitation, le principal défi, de la Guinée, et même de l’Afrique dans son ensemble, concerne la formation des ressources humaines. Le capital humain est la pierre angulaire du développement d’un pays et cela devrait être un sujet de préoccupation majeure, de la maternelle à l’université.
Ne négligeons pas non plus les problématiques de gouvernance. Il faut de la transparence et un accompagnement effectif du secteur privé par la puissance publique, en matière de conformité et de formalisation notamment.
Enfin, pour moi, le secteur privé doit tout mettre en œuvre pour se mettre au niveau international. La concurrence des entreprises étrangères est de plus en plus rude et agressive, et il est impensable que l’Afrique et son secteur privé soient laissés pour compte. Cela doit être pour nous une incitation à nous dépasser.
Quelle est l’importance du droit dans notre pays pour la bonne conduite des affaires ?
Le droit existe depuis la nuit des temps, et il est plus qu’essentiel de mettre en lumière son utilité pratique pour la société depuis qu’il existe. Sans le droit, pas d’organisation ni de structuration. C’est grâce au droit que les écoles, les structures étatiques et toutes les autres structures de la société existent. C’est le droit qui organise la cité et qui définit avec précision son mode de fonctionnement.
S’agissant du droit propre aux affaires, ce dernier porte sur la création de nouvelles entreprises et les questions qui se posent quand les entreprises déjà existantes interagissent avec le public, d’autres entreprises ou l’État. Toutes les sociétés et toutes les entreprises y sont soumises. D’une manière simple, il s’agit d’un ensemble de lois et de règlements qui régissent le monde des affaires. Autrement dit, ces lois et règlements servent de balises dans toutes les actions futures liées à l’administration ainsi qu’à l’exercice de toute activité professionnelle. C’est en quelque sorte la signalisation que nous avons sur nos routes pour nous encadrer dans notre conduite. Alors, comment la conduite des affaires pourrait être bonne si la signalisation elle-même est mauvaise ?
Par ailleurs, la sécurité juridique et plus généralement le respect de l’état de droit sont des notions indispensables au développement économique. Les besoins de stabilité et de prévisibilité des entreprises et des investisseurs se sont intensifiés, notamment pour des raisons proprement économiques et financières, à l’heure d’une mondialisation des échanges et d’une concurrence accrue dans la conquête des marchés, l’utilisation des ressources et la découverte d’innovations. Par conséquent, la stabilité et la clarté des lois et des règlements sont devenues des vecteurs autonomes et puissants de croissance économique que nous ne pouvons pas négliger.
Êtes-vous optimiste sur les perspectives politiques, sociales et économiques de notre pays ?
Sur le plan politique, force est de constater qu’actuellement, nous ne sommes pas dans la période optimale, en raison de certains gels d’actifs et de financements suite à la transition politique en cours. Il est plus que nécessaire de trouver des solutions, entre autres juridiques, afin de rassurer les nombreux investisseurs et organisations de développement qui sont actuellement frileux. Je reste néanmoins convaincu qu’à moyen et long terme, le retour à un ordre constitutionnel stable saura les rassurer.
Sur le plan économique, restons positifs. Bien qu’en 2020 et 2021, l’activité économique a été limitée en Guinée, et plus généralement en Afrique, par la pandémie de la COVID-19, plusieurs études économiques prédisent une reprise de la croissance. Cette reprise, prévue après la pire récession enregistrée depuis plus d’un demi-siècle, sera soutenue, notamment, par un rebond des prix des matières premières, et la levée des restrictions induites par la pandémie. Ainsi, la Guinée, désormais deuxième producteur mondial de bauxite, pourra s’insérer dans cette dynamique.
En outre, la pandémie de COVID-19 a causé une forte augmentation des besoins de financement public en Afrique. Ainsi, pour faire un parallèle avec la question précédente, si nous parvenons à établir un cadre juridique stable et claire, nous pourrons tirer profit des opportunités qui se présenteront à l’avenir grâce à une meilleure captation des investissements à destination du continent africain.
Pensez-vous que les grands projets miniers et d’infrastructures vont enfin voir le jour ?
Sous la présidence d’Alpha Condé, on a constaté une augmentation significative de la production de bauxite, qui a été multipliée par cinq comparativement aux années antérieures. Les différents projets en attente sont potentiellement porteurs d’une croissance pour notre pays, à condition qu’ils soient développés selon les meilleurs standards internationaux. Il ne fait pas de doute qu’ils verront le jour. Ce n’est qu’une question de temps. Le temps que les choses se stabilisent après ce contexte mouvementé tant sur le plan économique, politique et sanitaire.
L’augmentation de la production minière sera une bonne chose évidemment, néanmoins, il est important de réfléchir sur la façon dont nous allons allouer les flux financiers générés par nos matières premières. Nous pourrions, par exemple, avec ces fonds, entreprendre une diversification de notre économie afin de ne pas être réduit à la dépendance d’une économie reposant sur une seule ressource. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui les fluctuations des cours des matières premières restent très fortes. Notre pays a un réel potentiel en matière de tourisme et d’agroalimentaire. Ces secteurs pourraient être les canaux de notre diversification économique, d’autant plus qu’ils sont générateurs d’emplois.
Toutes ces perspectives me laissent profondément optimiste quant à l’avenir de notre pays.