Dans un entretien accordé à notre reporter, Mamadou Baadiko Bah leader de l’union des forces démocratiques (UFD) parlant des élections locales du 4 février a dénoncé des cafouillages au dépouillement des votes et à la centralisation.
«Comment expliquer que des bureaux de vote qui n’ont pas plus de 300 inscrits, mettent parfois 24 heures avant de sortir le procès-verbal de dépouillement ? Comment expliquer qu’une sous-préfecture qui n’a pas plus de 12 bureaux de vote, soit incapable de centraliser les bureaux dans la nuit de l’élection ? Bien évidemment, il ne faut pas chercher la raison de ce retard seulement dans l’incompétence ou l’inexpérience des agents chargés de la centralisation, mais tout simplement c’est à cause des bagarres incessantes entre les uns et les autres pour tentatives de fraude ! Dans notre pays hélas, la fraude, le vol, les détournements sont un sport national qui n’est pas l’apanage des seuls fonctionnaires ! On accuse le pouvoir, la CENI, mais en réalité, nous sommes en face d’un phénomène de société ; un système communément admis et reposant sur la fraude depuis le retour à la démocratie en 1990. Tout le monde est prêt à recourir à la fraude pour s’imposer et on trouve que c’est normal, la fin justifiant les moyens ! Nous-mêmes avons bien failli en faire les frais, mais cette fois-ci, les adversaires qui avaient déjà tout planifié et tout calculé n’ont pas pu frauder contre nous. Nos candidats et notre jeune équipe de campagne se sont bien battus et il faut leur rendre hommage. A part tout cela, ces élections n’ont donné lieu à aucun débat sur la politique communale. En matière d’arguments, il y n’y a eu que les traditionnels achats de voix, les fraudes aux votes par procurations, les falsifications et substitutions de procès-verbaux, les calomnies ignobles, les promesses fallacieuses, les tentatives d’intimidations et les pressions de toutes sortes. Je reste convaincu qu’il ne peut rien sortir de sérieux d’un tel système et ce n’est pas notre magnifique Code Électoral qui y changera grand-chose. Chez nous, tous les textes restent sur le papier », a-t-il expliqué.
Pour ce qui est du fort taux d’abstention, Monsieur Bah dit qu’il est incontestable que cette attitude des populations traduit clairement leur rejet du système en place et des solutions alternatives qui leur sont proposées pour résoudre leurs problèmes quotidiens.
«Tout le monde a remarqué le taux d’abstention record à ces élections qui auraient pourtant dû mobiliser les populations au plan local. Je crois qu’il est incontestable que cette attitude des populations traduit clairement leur rejet du système en place et des solutions alternatives qui leur sont proposées pour résoudre leurs problèmes quotidiens. Personne n’a cru que ces élections allaient permettre un changement véritable de la façon dont les affaires locales étaient gérées, quel que soit le candidat. Avez-vous remarqué par exemple que l’écrasante majorité des têtes de listes dans les préfectures et les sous-préfectures étaient de vénérables vieillards retraités? C’est ce rejet de l’establishment politique, (majorité et opposition) qui a permis la percée remarquable des candidatures indépendantes. En allant plus loin, on peut estimer que ces élections ont constitué un coup de semonce des populations contre la majorité à laquelle nous appartenons, ainsi que du système de condominium politico-ethnique qui règne sur le pays. Le message est sans ambiguïté », a-t-il indiqué.
Pour le patron de l’UFD, les gens ne peuvent plus se contenter éternellement de promesses quand leur vie quotidienne se dégrade de jour en jour: ‘’leurs enfants n’ont pas d’éducation de qualité, pas de travail ; il n’y a pas de routes, pas d’eau potable, pas de sécurité, etc’’.
Parlant des violences en Guinée, il estime que l’on assiste à la ‘’somalisation’’ du pays.
«Lorsqu’au lieu de travailler honnêtement et de vivre à la sueur de leur front, les gens cherchent plutôt à conquérir des positions politiques dans le pouvoir (élu ou administratif) et que pour cela ils doivent se livrer à toutes les pratiques illégales et même criminelles dénoncées plus haut, c’est tout à fait normal que cela nourrisse la haine et la violence. C’est le lieu d’attirer l’attention du peuple de Guinée sur les nouvelles menaces qui pèsent sur notre société, à cause de la faillite du système politico-ethnique. Depuis que notre pays est sorti de la transition militaire en 2010 avec la victoire d’un clan politico-ethnique sur l’autre, le pays n’a pas pris le chemin de la concorde, de l’unité, pour se lancer à l’assaut de la reconstruction. C’est une réalité qui crève les yeux. Et aujourd’hui ce système a exacerbé les tensions communautaires. Mais ça va plus loin. La logique de la division ethnique n’ayant jamais de limites, avec ces élections locales, les divisions sont maintenant descendues au niveau des familles elles-mêmes, c’est-à-dire qu’on est tombé dans le phénomène clanique ! Nous assistons à la « somalisation » du pays. De la haine ethnique, on passe à la haine clanique, avec son cortège de violences et de déchirements. C’est horrible ! Pensez que les clans somaliens sont en guerre et se massacrent depuis plus de trente ans ! », a-t-il conclu.