Un nouveau régime arrive et nous débarrasse de l’ancien régime « corrompu ». Nous sommes soulagés et nous nous permettons, une fois de plus, de rêver d’une République de Guinée émergente et inclusive — N’est-ce pas là une réalisation des souhaits de la plupart d’entre nous ?
Le nouveau régime, conscient de sa popularité du moment, fait des promesses, et lie la parole aux actes dès les premiers jours et semaines qui suivent leur accession au pouvoir. Ensuite, nous attendons tous, anxieusement devant nos téléviseurs, l’arrivée de la nouvelle équipe ministérielle et dirigeante. Avec les souvenirs de l’ancien régime « corrompu » encore frais dans nos esprits, nous croyons que le changement est réel cette fois-ci. Jusqu’à ce que ce ne soit pas le cas ! Cela vous semble-t-il familier ? C’est peut-être parce que nous avons déjà emprunté ce sentier il n’y a pas si longtemps, et à moins que nous fassions les choses différemment cette fois-ci, nous nous retrouverons hélas avec les mêmes conséquences.
Reconnaissant que la Transition a posé, à date, des actes symboliques qui témoignent de leur bonne foi, il nous incombe toutefois le devoir de garder un œil sur chaque décision et de nous exprimer sur tout ce qui pourrait faire du tort au bien-être de la nation.
Comme l’a dit Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ! ». Alors la question qu’on devrait se poser est la suivante : que pouvons-nous faire différemment cette fois-ci pour éviter une répétition de l’histoire ? Le temps est venu de mettre de côté des émotions telles que la peur et l’espoir et de donner priorité à la raison en se posant bonnes questions.
Voici donc quelques propositions dans ce sens.
Dans un premier temps, il serait important de rappeler au nouveau régime que popularité et légitimité sont deux choses différentes. Ne nous leurrons pas — soit nous sommes une société libre et démocratique, soit nous ne le sommes pas ! Nous osons penser que nous le somme, car le deuxième jour d’octobre 1958, nous avons choisi la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. Conséquemment, dans une société libre et démocratique, le pouvoir suprême appartient exclusivement au peuple, et il appartient exclusivement à lui de le confier à qui il veut. Toutefois, compte tenu des circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons, une certaine dérogation à ce principe peut être acceptable à condition que certaines lignes directrices soient respectées :
- l’exercice du pouvoir est temporaire et sur une durée spécifique convenue et déterminée par les parties, qui en aucun cas ne devrait être dépassée ;
- la seule mission de ce pouvoir temporaire devrait être la mise en place des institutions qui permettront l’accès légitime au pouvoir et son exercice par des citoyens dûment élus ;
- ceux qui exercent ce pouvoir temporaire devraient s’abstenir de toute action susceptible d’engager le pays sur le long terme, financièrement ou autrement, comme la levée de nouvelles dettes souveraines ou la signature de traités internationaux ; et
- plus important encore, l’autorité de transition devrait s’abstenir d’adopter de nouvelles lois ou de modifier les lois existantes dès lors que de telles adoptions et modifications ont une portée sur le long terme.
Dans un deuxième temps, parallèlement aux quatre points énumérés ci-dessus, il est à rappeler que la popularité dont dispose le CNRD, et l’accueil favorable de la mise en place du Conseil National de la Transition (CNT) ne devraient pas être perçus par les futurs membres de cet organe comme un blanc-seing pour voter des lois qui sortent du cadre et de l’esprit de la transition. À notre humble avis, les lois qui devront être votées, doivent strictement relever du cadre légal de la transition, notamment les lois sur la CENI, les lois de finance, les lois organiques essentielles au fonctionnement de certaines institutions de la transition, etc. Le CNT n’a pas pour objet et ne devra pas, par exemple, opérer des modifications du Code Minier impactant les projets miniers, de ratifier des conventions minières, etc.
Pour terminer, lorsque nous parlons du renouvellement de la scène politique, nous devrions réellement aller de l’avant et le faire en profondeur. Il est insensé de parler de renouveau lorsque les politiciens qui sont supposés nous représenter, nous comprendre et défendre nos intérêts sont dans l’arène politique depuis l’enfance de la majorité de la population. La jeunesse guinéenne devra donc exiger et faciliter l’émergence de nouvelles personnalités politiques plus représentatives de nos aspirations. L’idée que nous devrions faire confiance à ceux qui ont de l’expérience dans l’administration publique est illogique. Qu’ont-ils accompli jusque-là de toute façon ? Faire de la République de Guinée l’une des nations les plus pauvres et les plus corrompues de la planète ? L’histoire nous a prouvé que le statu quo n’a pas fonctionné et ne fonctionne pas pour nous ! De ce fait, nous devrions refuser de leur apporter notre soutien, et encore moins nos votes. Au lieu d’attendre anxieusement d’être appelés à occuper un poste gouvernemental, occupons tous massivement la scène politique et disons oui à l’occasion unique que le destin nous a accordée. Notre heure n’est pas demain, ni le mois prochain ni l’année prochaine. C’est maintenant !
Il est temps que nous, le peuple, prenions la responsabilité du changement que nous voulons pour notre pays. C’est un fardeau trop lourd à confier aux politiciens ou aux militaires. C’est pourquoi ils ont échoué à plusieurs reprises. Nos dirigeants cesseront d’agir en autocrates lorsque nous cesserons de les traiter comme des demi-dieux. Ils exercent un pouvoir qui leur a été conféré par le peuple et ils sont redevables uniquement vis-à-vis de ce même peuple. Nous leur confions notre bien le plus précieux, à savoir la vie de notre nation et nous exigeons des résultats en retour.
Encore une fois, nous avons le choix : nous pouvons saisir cette opportunité ensemble et changer pour toujours la trajectoire de notre nation ou nous pouvons alors laisser le passé se répéter et manquer encore une fois un rendez-vous clé de notre histoire, en attendant le prochain coup d’État. À moins que nous fassions les choses différemment cette fois-ci, cette transition ne sera pas la dernière.
Le collectif Ensemble
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